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AURORE

les spécialistes les plus autorisés — à côté de conquérants brillants, de vieilles et somptueuses maisons princières ? Il faudrait du moins que l’homme du peuple, pour réussir, leur ouvrît la perspective de conquêtes et d’apparat : cela lui ferait peut-être trouver créance. Les peuples obéissent toujours et vont plus loin encore, à condition qu’ils puissent s’enivrer ! On n’a pas même le droit de leur offrir le plaisir sans la couronne de lauriers et la force que renferme celle-ci, la force qui rend fou. Mais ce goût populacier qui tient l’ivresse pour plus importante que la nutrition n’a nullement son origine dans les profondeurs de la populace : il y a, au contraire, été porté et transplanté pour y croître tardivement avec plus d’abondance, tandis qu’il tient son origine des intelligences les plus hautes, où il s’est épanoui durant des milliers d’années. Le peuple est le dernier terrain inculte où puisse encore prospérer cette éclatante ivraie. — Comment ! et c’est justement au peuple que l’on voudrait confier la politique ? Pour qu’il y puise son ivresse quotidienne ?

189.

De la grande politique. — Quelle que soit la part que prennent, dans la grande politique, l’utilitarisme et la vanité des individus comme des peuples : la force la plus vivace qui les pousse en avant est le besoin de puissance, qui, non seulement dans l’âme des princes et des puissants, mais encore, et non pour la moindre part, dans les couches infé-