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AURORE

et à la haine, il place toujours devant les yeux un but minime et accorde des satisfactions faciles et régulières. Ainsi une société, où l’on travaille sans cesse durement, jouira d’une plus grande sécurité : et c’est la sécurité que l’on adore maintenant comme divinité suprême. — Et voici (ô épouvante !) que c’est justement le « travailleur » qui est devenu dangereux ! Les « individus dangereux » fourmillent ! Et derrière eux il y a le danger des dangers — l’individuum !

174.

Mode morale d’une société commerçante. — Derrière ce principe de l’actuelle mode morale : « les actions morales sont les actions de la sympathie pour les autres, » je vois dominer l’instinct social de la crainte qui prend ainsi un déguisement intellectuel : cet instinct pose comme principe supérieur, le plus important et le plus prochain, qu’il faut enlever à la vie le caractère dangereux qu’elle avait autrefois, et que chacun doit aider à cela de toutes ses forces. C’est pourquoi seules les actions qui visent à la sécurité générale et au sentiment de sécurité de la société peuvent recevoir l’attribut « bon » ! — Combien peu de plaisirs les hommes doivent-ils avoir dès lors à leur propre aspect, si une telle tyrannie de la crainte leur prescrit la loi morale supérieure, s’ils se laissent ainsi recommander sans objection de passer sur eux-mêmes, à côté d’eux-mêmes, mais d’avoir des yeux de lynx pour toute misère, pour toute souffrance