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AURORE

tuel », de « libre », d’« arbitraire », d’« inaccoutumé », d’« imprévu », d’« incalculable ». Dans ces mêmes états primitifs, toujours selon la même évaluation : si une action est exécutée, non parce que la tradition la commande, mais pour d’autres raisons (par exemple à cause de son utilité individuelle), et même pour ces mêmes raisons qui autrefois ont établi la coutume, elle est qualifiée d’immorale et considérée comme telle, même par celui qui l’exécute : car celui-ci ne s’est pas inspiré de l’obéissance envers la tradition. Qu’est-ce que la tradition ? Une autorité supérieure à laquelle on obéit, non parce qu’elle commande l’utile, mais parce qu’elle commande. — En quoi ce sentiment de la tradition se distingue-t-il d’un sentiment général de crainte ? C’est la crainte d’une intelligence supérieure qui ordonne, la crainte d’une puissance incompréhensible et indéfinie, de quelque chose qui est plus que personnel, — il y a de la superstition dans cette crainte. — Autrefois, l’éducation tout entière et les soins de la santé, le mariage, l’art médical, l’agriculture, la guerre, la parole et le silence, les rapports entre hommes et les rapports avec les dieux appartenaient au domaine de la moralité : la moralité exigeait que l’on observât des prescriptions, sans penser à soi-même en tant qu’individu. Dans les temps primitifs, tout dépendait donc de l’usage, des mœurs, et celui qui voulait s’élever au-dessus des mœurs devait se faire législateur, guérisseur et quelque chose comme un demi-dieu : c’est-à-dire qu’il lui fallait créer des mœurs, — chose épouvantable et fort dangereuse ! — Quel est l’homme le