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AURORE

bonne moralité est cause de cette déplorable civilisation. Nos conceptions sociales du bien et du mal, faibles et efféminées, leur énorme prépondérance sur le corps et l’âme, ont fini par affaiblir tous les corps et toutes les âmes et par briser les hommes indépendants, autonomes, sans préjugés, les véritables piliers d’une civilisation forte : partout où l’on rencontre aujourd’hui encore la mauvaise moralité, on voit les dernières ruines de ces piliers. » Il y a donc paradoxe contre paradoxe ! La vérité ne peut, à aucun prix, être des deux côtés : est-elle en général de l’un ou de l’autre côté ? Qu’on examine !

164.

Peut-être anticipé. — Il semble qu’actuellement, sous différents noms erronés qui induisent en erreur et le plus souvent avec un grand manque de netteté, ceux qui ne se sentent pas attachés aux mœurs et aux lois établies fassent les premières tentatives pour s’organiser et pour se créer ainsi un droit : tandis que jusqu’à présent tous les criminels, les libres penseurs, tous les hommes immoraux et scélérats vivaient décriés et hors la loi, dépérissant sous le poids de la mauvaise conscience. On devrait, somme toute, approuver cela et le trouver bien, quoique le siècle à venir y perde en sécurité et qu’il faudra peut-être que chacun prenne son fusil sur l’épaule : — ne fût-ce que pour qu’il y ait une puissance d’opposition qui rappelle toujours qu’il n’y a pas de morale absolue et exclusive, et que toute moralité qui s’affirme à l’exclusion de toute autre