pitié qu’il rencontre dans la vie pratique et qui se représente, dans son for intérieur, toute la misère dont son entourage peut lui offrir le spectacle, devient inévitablement malade et mélancolique. Mais celui qui, dans un sens ou dans un autre, veut servir de médecin à l’humanité, devra être plein de précautions à l’égard de ce sentiment — qui le paralyse dans tous les moments décisifs, entrave sa science et sa main subtile et secourable.
135.
Exciter la pitié. — Parmi les sauvages, on songe avec une sainte terreur que l’on pourrait être plaint : ce serait la preuve que l’on est privé de toute vertu. Compatir équivaut à mépriser : on ne veut pas voir souffrir un être méprisable, cela ne procure aucune jouissance. Voir souffrir par contre un ennemi, que l’on considère comme son égal en fierté, mais que la torture ne fait pas abandonner son attitude, et, en général, voir souffrir tout être qui ne veut pas se décider à en appeler à la pitié, c’est-à-dire à l’humiliation la plus honteuse et la plus profonde, c’est là la jouissance des jouissances, l’âme du sauvage s’y édifie jusqu’à l’admiration : il finit par tuer un pareil brave, lorsque cela est en son pouvoir, et il lui rend, à lui l’inflexible, les derniers honneurs. S’il avait gémi, si son visage avait perdu son expression de froid dédain, s’il s’était montré digne de mépris, — eh bien ! il aurait pu continuer à vivre comme un chien, — il n’aurait