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AURORE

nos sens nous ont enveloppés dans un tissu de sensations mensongères qui sont, à leur tour, la base de tous nos jugements et de notre « entendement », — il n’y a absolument pas d’issue, pas d’échappatoire, pas de sentier détourné vers le monde réel ! Nous sommes dans notre toile comme des araignées, et quoi que nous puissions y prendre, ce ne sera toujours que ce qui se laissera prendre à notre toile.

118.

Qu’est-ce donc que notre prochain ? — Qu’est-ce donc que nous considérons chez notre prochain comme ses limites, je veux dire ce par quoi il met en quelque sorte son empreinte sur nous ? Tout ce que nous comprenons de lui ce sont les changements qui ont lieu sur notre personne et dont il est la cause — ce que nous savons de lui ressemble à un espace creux modelé. Nous lui prêtons les sentiments que ses actes provoquent en nous et nous lui donnons ainsi le reflet d’un faux positif. Nous le formons d’après la connaissance que nous avons de nous-mêmes, pour en faire un satellite de notre propre système : et lorsqu’il s’éclaire ou s’obscurcit pour nous et que c’est nous, dans les deux cas, qui en sommes la cause dernière, — nous nous figurons cependant le contraire ! Monde de fantômes où nous vivions ! Monde renversé, tourné à rebours et vide, et que pourtant nous voyons comme en rêve sous un aspect droit et plein !