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AURORE

Il s’agit maintenant de savoir ce qui s’oppose à ce désir : si ce sont des choses et des égards d’espèce commune, et aussi des hommes que nous estimons peu, — le but du nouveau désir prendra l’apparence d’un sentiment « noble, bon, louable, digne de sacrifice », toutes les dispositions morales héréditaires s’y glisseront, et le but deviendra un but moral — et maintenant nous ne croyons plus aspirer à un plaisir, mais à une moralité : ce qui augmente beaucoup l’assurance de notre aspiration.

111.

Aux admirateurs de l’objectivité. — Celui qui, comme enfant, a remarqué chez les parents et connaissances au milieu desquels il a grandi des sentiments multiples et violents, mais peu de jugements subtils et de penchants vers la justice intellectuelle, celui donc qui a usé sa meilleure force et son temps le plus précieux à imiter des sentiments : celui-là remarque sur lui-même, lorsqu’il a atteint l’âge d’homme, que toute chose nouvelle, tout homme nouveau, suscitent immédiatement en lui de la sympathie ou de l’aversion, ou encore de l’envie et du mépris ; sous l’empire de cette expérience qu’il est impuissant à secouer, il admire la neutralité des sentiments, l’« objectivité », comme une chose extraordinaire, presque géniale et d’une rare moralité, et il ne veut pas admettre que cette neutralité, elle aussi, n’est que le produit de l’éducation et de l’habitude.