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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

Il est plus humain de se venger un peu que de s’abstenir de la vengeance. Et si la punition n’est pas aussi un droit et un honneur accordés au transgresseur, je ne veux pas de votre punition.

Il est plus noble de se donner tort que de garder raison, surtout quand on a raison. Seulement il faut être assez riche pour cela.

Je n’aime pas votre froide justice ; dans les yeux de vos juges passe toujours le regard du bourreau et son couperet glacé.

Dites-moi donc où se trouve la justice qui est l’amour avec des yeux clairvoyants.

Inventez-moi donc l’amour qui porte non seulement toutes les punitions, mais aussi toutes les fautes !

Inventez-moi donc la justice qui acquitte chacun sauf celui qui juge !

Voulez-vous que je vous dise encore cela ? Chez celui qui veut être juste au fond de l’âme, le mensonge même devient philanthropie.

Mais comment saurais-je être juste au fond de l’âme ? Comment pourrais-je donner à chacun le sien ? Que ceci me suffise : je donne à chacun le mien.

Enfin, mes frères, gardez-vous d’être injustes envers les solitaires. Comment un solitaire pourrait-il oublier ? Comment pourrait-il rendre ?

Un solitaire est comme un puits profond. Il est facile d’y jeter une pierre ; mais si elle est tombée jusqu’au fond, dites-moi donc, qui voudra la retirer ?