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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

ses trousses était maigre, noirâtre et usée, tant elle avait l’air d’avoir fait son temps.

« Qui es-tu ? demanda impétueusement Zarathoustra. Que fais-tu ici ? Et pourquoi t’appelles-tu mon ombre ? Tu ne me plais pas. »

« Pardonne-moi, répondit l’ombre, que ce soit moi ; et si je ne te plais pas, eh bien, ô Zarathoustra ! je t’en félicite et je loue ton bon goût.

Je suis un voyageur, depuis longtemps déjà attaché à tes talons : toujours en route, mais sans but, et aussi sans demeure : en sorte qu’il ne me manque que peu de chose pour être l’éternel juif errant, si ce n’est que je ne suis ni juif, ni éternel.

Eh quoi ! Faut-il donc que je sois toujours en route ? toujours instable, entraîné par le tourbillon de tous les vents ? Ô terre, tu devins pour moi trop ronde !

Je me suis posé déjà sur toutes les surface ; pareil à de la poussière fatiguée, je me suis endormi sur les glaces et les vitres. Tout me prend de ma substance, nul ne me donne rien, je me fais mince, — peu s’en faut que je ne sois comme une ombre.

Mais c’est toi, ô Zarathoustra, que j’ai le plus longtemps suivi et poursuivi, et, quoique je me sois caché de toi, je n’en étais pas moins ton ombre la plus fidèle : partout où tu te posais je me posais aussi.

À ta suite j’ai erré dans les mondes les plus lointains et les plus froids, semblable à un fantôme qui