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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

Condamné à toi-même et à ta propre lapidation : ô Zarathoustra, tu as jeté bien loin la pierre, — mais elle retombera sur toi ! »

Alors le nain se tut ; et son silence dura longtemps, en sorte que j’en fus oppressé ; ainsi lorsqu’on est deux, on est en vérité plus solitaire que lorsque l’on est seul !

Je montai, je montai davantage, en rêvant et en pensant, — mais tout m’oppressait. Je ressemblais à un malade que fatigue l’âpreté de sa souffrance, et qu’un cauchemar réveille de son premier sommeil. —

Mais il y a quelque chose en moi que j’appelle courage : c’est ce qui a fait taire jusqu’à présent en moi tout mouvement d’humeur. Ce courage me fit enfin m’arrêter et dire : « Nain ! L’un de nous deux doit disparaître, toi, ou bien moi ! » —

Car le courage est le meilleur meurtrier, — le courage qui attaque : car dans toute attaque il y a une fanfare.

L’homme cependant est la bête la plus courageuse, c’est ainsi qu’il a vaincu toutes les bêtes. Au son de la fanfare, il a surmonté toutes les douleurs ; mais la douleur humaine est la plus profonde douleur.

Le courage tue aussi le vertige au bord des abîmes : et où l’homme ne serait-il pas au bord des abîmes ? Ne suffit-il pas de regarder — pour regarder des abîmes ?

Le courage est le meilleur des meurtriers : le courage tue aussi la pitié. Et la pitié est l’abîme le