Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra (trad. Albert, 1903).djvu/192

Cette page a été validée par deux contributeurs.
192
AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

« Hélas ! où y a-t-il encore une mer où l’on puisse se noyer ? » ainsi résonne notre plainte — cette plainte qui passe sur les plats marécages.

En vérité, nous nous sommes déjà trop fatigués pour mourir, maintenant nous continuons à vivre éveillés — dans des caveaux funéraires ! »

Ainsi Zarathoustra entendit parler un devin ; et sa prédiction lui alla droit au cœur et elle le transforma. Il erra triste et fatigué ; et il devint semblable à ceux dont avait parlé le devin.

En vérité, dit-il à ses disciples, il s’en faut de peu que ce long crépuscule ne descende. Hélas ! comment ferai-je pour sauver ma lumière au delà de ce crépuscule !

Comment ferai-je pour qu’elle n’étouffe pas dans cette tristesse ? Il faut qu’elle soit la lumière des mondes lointains et qu’elle éclaire les nuits les plus lointaines !

Ainsi, préoccupé dans son cœur, Zarathoustra se mit à errer çà et là ; et pendant trois jours il ne prit ni nourriture ni boisson, il resta sans repos et perdit la parole. Enfin il lui arriva de tomber dans un profond sommeil. Mais ses disciples passaient de longues veilles, assis autour de lui, et ils attendaient avec inquiétude qu’il se réveillât pour se remettre à parler et pour guérir de sa tristesse.

Mais voici le discours que leur tint Zarathoustra lorsqu’il se réveilla ; cependant sa voix leur semblait venir du lointain :