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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

terre pour tirer des lapins. Pourtant à l’heure de midi, tandis que le capitaine et ses gens se trouvaient de nouveau réunis, ils virent soudain un homme traverser l’air en s’approchant d’eux et une voix prononça distinctement ces paroles : « Il est temps, il est grand temps ! » Lorsque la vision fut le plus près d’eux — elle passait très vite pareille à une ombre dans la direction du volcan — ils reconnurent avec un grand effarement que c’était Zarathoustra ; car ils l’avaient tous déjà vu, excepté le capitaine lui-même, ils l’aimaient, comme le peuple aime, mêlant à parties égales l’amour et la crainte.

« Voyez donc ! dit le vieux pilote, voilà Zarathoustra qui va en enfer ! » —

Et à l’époque où ces matelots atterrissaient à l’île de flammes, le bruit courut que Zarathoustra avait disparu ; et lorsque l’on s’informa auprès de ses amis, ils racontèrent qu’il avait pris le large pendant la nuit, à bord d’un vaisseau, sans dire où il voulait aller.

Ainsi se répandit une certaine inquiétude ; mais après trois jours cette inquiétude s’augmenta de l’histoire des marins — et tout le peuple se mit à raconter que le diable avait emporté Zarathoustra. Il est vrai que ses disciples ne firent que rire de ces bruits et l’un d’eux dit même : « Je crois plutôt encore que c’est Zarathoustra qui a emporté le diable. » Mais, au fond de l’âme, ils étaient tous pleins d’inquiétude et de langueur : leur joie fut donc grande lorsque, cinq jours après, Zarathoustra parut au milieu d’eux.