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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

Il devrait faire comme le taureau ; et son bonheur devrait sentir la terre et non le mépris de la terre.

Je voudrais le voir semblable à un taureau blanc, qui souffle et mugit devant la charrue : et son mugissement devrait chanter la louange de tout ce qui est terrestre !

Son visage est obscur ; l’ombre de la main se joue sur son visage. Son regard est encore dans l’ombre.

Son action elle-même n’est encore qu’une ombre projetée sur lui : la main obscurcit celui qui agit. Il n’a pas encore surmonté son acte.

Je goûte beaucoup chez lui l’échine du taureau : mais maintenant j’aimerais voir aussi le regard de l’ange.

Il faut aussi qu’il désapprenne sa volonté de héros : je veux qu’il soit un homme élevé et non pas seulement un homme sublime : — l’éther à lui seul devrait le soulever, cet homme sans volonté !

Il a vaincu des monstres, il a deviné des énigmes : mais il lui faudrait sauver aussi ses monstres et ses énigmes ; il lui faudrait les transformer en enfants divins.

Sa connaissance n’a pas encore appris à sourire et à être sans jalousie ; son flot de passion ne s’est pas encore calmé dans la beauté.

En vérité, ce n’est pas dans la satiété que son désir doit se taire et sombrer, mais dans la beauté. La grâce fait partie de la générosité de ceux qui ont la pensée élevée.

Le bras passé sur la tête : c’est ainsi que le héros devrait se reposer, c’est ainsi qu’il devrait surmonter son repos.