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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

sur le chemin de l’aveugle : et maintenant je suis dégoûté du vieux sentier de l’aveugle.

Et lorsque je fis la chose qui était pour moi la plus difficile, lorsque je célébrai des victoires où je m’étais vaincu moi-même : vous avez poussé ceux qui m’aimaient à s’écrier que c’était alors que je leur faisais le plus mal.

En vérité, vous avez toujours agi ainsi, vous m’avez enfiellé mon meilleur miel et la diligence de mes meilleures abeilles.

Vous avez toujours envoyé vers ma charité les mendiants les plus imprudents ; autour de ma pitié vous avez fait accourir les plus incurables effrontés. C’est ainsi que vous avez blessé ma vertu dans sa foi.

Et lorsque j’offrais en sacrifice ce que j’avais de plus sacré : votre dévotion s’empressait d’y joindre de plus grasses offrandes : en sorte que les émanations de votre graisse étouffaient ce que j’avais de plus sacré.

Et un jour je voulus danser comme jamais encore je n’avais dansé : je voulus danser au delà de tous les cieux. Alors vous avez détourné de moi mon plus cher chanteur.

Et il entonna son chant le plus lugubre et le plus sombre : hélas ! il corna à mon oreille des sons qui avaient l’air de venir du cor le plus funèbre !

Chanteur meurtrier, instrument de malice, toi le plus innocent ! Déjà j’étais prêt pour la meilleure danse : alors de tes accords tu as tué mon extase !