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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

« Car la vérité est là : puisque le peuple est là ! Malheur ! malheur à celui qui cherche ! » — C’est ce que l’on a répété de tout temps.

Vous vouliez donner raison à votre peuple dans sa vénération : c’est ce que vous avez appelé « volonté de vérité », ô sages célèbres !

Et votre cœur s’est toujours dit : « Je suis venu du peuple : c’est de là aussi que m’est venue la voix de Dieu. »

Endurants et rusés, pareils à l’âne, vous avez toujours intercédé pour le peuple.

Et maint puissant qui voulait accorder l’allure de son char au goût du peuple attela devant ses chevaux — un petit âne, un sage illustre !

Et maintenant, ô sages illustres, je voudrais que vous jetiez enfin tout à fait loin de vous la peau du lion !

La peau bigarrée de la bête fauve, et les touffes de poil de l’explorateur, du chercheur et du conquérant.

Hélas ! pour apprendre à croire à votre « véracité », il me faudrait vous voir briser d’abord votre volonté vénératrice.

Véridique — c’est ainsi que j’appelle celui qui va dans les déserts sans Dieu, et qui a brisé son cœur vénérateur.

Dans le sable jaune brûlé par le soleil, il lui arrive de regarder avec envie vers les îles aux sources abondantes où, sous les sombres feuillages, la vie se repose.