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Des trois Maux.
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1.

En rêve, dans mon dernier rêve du matin, je me trouvais aujourd’hui sur un promontoire, — au delà du monde, je tenais une balance dans la main et je pesais le monde.

Ô pourquoi l’aurore est-elle venue trop tôt pour moi ? son ardeur m’a réveillé, la jalouse ! Elle est toujours jalouse de l’ardeur de mes rêves du matin.

Mesurable pour celui qui a le temps, pesable pour un bon peseur, attingible pour les ailes vigoureuses, devinable pour de divins casse-noisettes : ainsi mon rêve a trouvé le monde : —

Mon rêve, un hardi navigateur, mi-vaisseau, mi-rafale, silencieux comme le papillon, impatient comme le faucon : quelle patience et quel loisir il a eu aujourd’hui pour peser le monde !

Ma sagesse lui aurait-elle parlé en secret, ma sagesse du jour, riante et éveillée, qui se moque de tous les « mondes infinis » ? Car elle dit : « Où il y a de la force, le nombre finit par devenir maître, car c’est lui qui a le plus de force. »

Avec quelle certitude mon rêve a regardé ce monde fini ! Ce n’était de sa part ni curiosité, ni indiscrétion, ni crainte, ni prière : —