Page:Nietzsche - Ainsi parlait Zarathoustra.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
    148    

Ne soyez pas fâchées contre moi, belles danseuses, si je fustige un peu le petit dieu ! il se mettra peut-être à crier et à pleurer, — mais il prête à rire, même en pleurant !

Et c’est les larmes aux yeux qu’il doit vous demander une danse ; et moi-même j’accompagnerai sa danse d’une chanson :

Une chanson de danse et une satire sur l’esprit de la lourdeur, sur mon diable souverain et tout puissant, dont ils disent qu’il est le « maître du monde ». —

Et voici la chanson que chanta Zarathoustra, tandis que dansaient Cupidon et les jeunes filles :

Un jour j’ai regardé dans tes yeux, ô vie ! Et il me semblait tomber dans l’insondable !

Mais tu m’as retiré avec des hameçons dorés ; tu avais un rire moqueur quand je te nommais insondable.

«C’est la parole de tous les poissons, disais-tu ; ce qu’ils ne peuvent pénétrer est insondable.

Mais je ne suis que variable et sauvage et femme en toute chose, je ne suis pas une femme vertueuse :

Quoique je sois pour vous autres hommes « la profonde » ou « la fidèle », « l’éternelle », « la mystérieuse ».

Mais, vous autres hommes, vous nous prêtez toujours vos propres vertus, hélas ! vertueux que vous êtes ! »

C’est ainsi qu’elle riait, l’incroyable, mais je ne la crois jamais, ni elle, ni son rire, quand elle parle mal d’elle-même.

Et lorsque je parlais en tête-à-tête à ma sagesse sauvage, elle me dit avec colère : « Tu veux, tu désires, tu aimes, c’est seulement pour cela que tu loues la vie ! »