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J’aime bien aussi à voiler ma face et à m’enfuir avant d’être reconnu : faites de même, mes amis !

Que ma destinée m’amène toujours sur mon chemin de ceux qui, comme vous, ne souffrent pas, et de ceux avec qui je puisse partager espoirs, repas et miel !

En vérité, j’ai fait ceci et cela pour ceux qui souffrent : mais il m’a toujours semblé faire mieux, quand j’apprenais à mieux me réjouir.

Depuis qu’il y a des hommes, l’homme s’est trop peu réjoui : Ceci seul, mes frères, est notre péché originel.

Et quand nous apprenons mieux à nous réjouir, c’est alors que nous désapprenons le mieux de faire mal aux autres et d’inventer des douleurs.

C’est pourquoi je me lave les mains qui ont aidé celui qui souffre. C’est pourquoi je m’essuie même encore l’âme.

Car j’ai honte, à cause de sa honte, de ce que j’ai vu souffrir celui qui souffre ; et lorsque je lui suis venu en aide, j’ai blessé durement sa fierté.

De grandes obligations ne rendent pas reconnaissant, mais vindicatif ; et si même on n’oublie pas le petit bienfait, il devient cependant un ver rongeur.

« Soyez réservés pour prendre ! Distinguez en acceptant ! » — c’est ce que je conseille à ceux qui n’ont rien à donner.

Mais moi je suis de ceux qui donnent : j’aime à donner, en ami, aux amis. Pourtant que les étrangers et les pauvres cueillent eux-mêmes le fruit de mon arbre : cela est moins humiliant pour eux.