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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

pouvoir de les tourner vers le plus grand bien de la société, semblent tous les jours confirmer le vieux proverbe qui dit que la propriété du public n’appartient à personne. Aussi, autant on trouve ces républicains heureux et dans l’aisance dans leur intérieur, autant on les voit négligents et pleins d’insouciance pour tout ce qui concerne les établissements publics, qui, d’ordinaire, vont chez eux comme il plaît à Dieu. Ce défaut me paraît provenir, d’abord, de la difficulté de faire entendre à la masse d’un peuple républicain, que l’ordre et l’obéissance ne sont pas du tout incompatibles avec une sage liberté ; en second lieu, du défaut d’esprit public, et de l’égoïsme avec lequel les républicains modernes jouissent de leur liberté : ce patriotisme, cet orgueil national, qui animaient les Grecs et les Romains, n’existent en quelque sorte plus de nos jours. Les Grecs et les Romains, dans les beaux temps de leur histoire, sobres et modestes dans leur vie privée, n’épargnaient ni efforts ni dépenses pour tout ce qui était d’utilité et de splendeur publiques : les ruines seules de leurs édifices nous étonnent encore. Le républicain moderne ne pense qu’à lui-même, il mange bien, il va au cabaret, il boit de l’eau-de-vie pour un dollar, en perd dix dans un combat de coqs ; et revenu chez lui, dès qu’on lui demande deux schellings pour la réparation d’un