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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS.

sai pavillon comme pour me rendre ; et aussitôt que les Suédois, ne soupçonnant rien, s’approchèrent tout près de mon navire pour s’en emparer, je leur lâchai une bordée à mitraille qui leur tua beaucoup de monde ; je répétai deux fois cette finesse, et ils m’auraient indubitablement coulé bas, si, heureusement pour moi, une brise ne s’était élevée ; enfin, meilleur voilier qu’eux, je leur ai bientôt échappé. » Titow admira beaucoup ce trait de présence d’esprit et de finesse.

La guerre finie, Achmatow pour prix de ses exploits, fut nommé courrier de cabinet à l’intérieur avec le rang de major. Quiconque a beaucoup vu, a beaucoup à dire, dit le proverbe. Achmatow, en traîneau ou en kibitka, parcourait l’Asie, depuis la mer Glaciale jusqu’aux frontières de la Chine, sans se douter qu’il la parcourait ; car, lorsque je lui demandai si sur la ligne qui séparait l’Europe de l’Asie il y avait beaucoup de forts, il ouvrit de grands yeux, et me demanda ce que c’était que l’Asie. Une autre fois il me demanda combien de minutes il y avait dans une heure. Cependant il remplaçait son manque d’instruction par des connaissances dans un autre genre. Il nous racontait, par exemple, la manière dont on pêchait à Astracan la bieluga, poisson dont on fait le caviar ; il nous disait que ce poisson avait