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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS.

salut, s’il n’en avait pas fait le pèlerinage au moins une fois dans sa vie. Le major avait trop d’esprit pour penser différemment ; aussi, hier, tout couvert du sang des malheureux qu’il avait battus, alla-t-il, le cœur contrit et le front humble, visiter les saints lieux. De retour, vers le soir, et tout rayonnant de joie, il racontait à ses camarades comme le cœur lui avait battu en s’approchant de ces cousins germains de l’Éternel, combien de fois il s’était prosterné, comme il avait prié, comme le prêtre avait ôté le bonnet de la tête d’un saint et l’avait mis sur la sienne, etc. ; et ses camarades d’écouter, de soupirer et d’envier son bonheur !

Le major nous amena des visiteurs : c’étaient deux généraux russes et un médecin français. Ce dernier, à en juger par ses manières et par ses connaissances, avait été à peine barbier dans son pays. La Russie fourmille de perruquiers et autres gens de cette espèce, venus de France, qui se font gouverneurs, médecins, secrétaires des premières maisons de Pétersbourg et de Moscou. Après le départ de ces messieurs, et au moment où nous nous y attendions le moins, arriva un courrier de Pétersbourg, envoyé par Alexis Nikolaiewicz Samoylow, grand procureur, ministre de l’intérieur et des affaires secrètes de l’impératrice. C’était le major Achmatow, soldat de fortune, plus ignorant encore, s’il est possible, que