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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

sur nous, tous leurs débats sur le choix des mots et l’élégance du style. J’avoue que, malgré mes souffrances, j’étais souvent obligé de me cacher le visage avec mon manteau, de peur de laisser apercevoir le rire qu’excitait en moi leur bêtise.

Je ne sais si c’étaient tous ces travaux ou la longueur du chemin qui aigrissait tellement Titow ; mais toujours est-il qu’il devenait tous les jours plus insupportable et plus farouche. Son plus grand plaisir était de dire du mal de la Pologne ; et, tout prisonnier que j’étais, je ne le souffrais pas, lui reprochant en termes énergiques son injustice et son peu de délicatesse ; mais voyant enfin que disputer avec un barbare qui était le maître, se trouvait pour le moins inutile, je pris le parti de ne plus lui parler, de lire ou de garder le silence. Cela le mettait dans de terribles accès de colère ; car, à peine avait-il commencé ses invectives, que je prenais un livre et lisais comme si j’étais seul ; il continuait, et moi de lire avec encore plus d’attention. Piqué au vif, il ferma tous les volets en bois de la voiture pour m’ôter entièrement le jour ; heureusement il y avait un petit trou dans la planche par lequel passait un filet de lumière ; j’en approchais mon livre, et je lisais encore ; excédé enfin et presque en fureur de mon opiniâtreté, il voulut du moins se venger une fois, par une saillie pleine de sel et d’érudition, et me dit