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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

nous destinait, avec l’idée déchirante que c’en était fait ppur toujours de notre patrie, ayant devant les yeux le spectacle affreux des horreurs récentes commises à Praga, celui de la proscription de nos parents et amis, de la confiscation de nos biens ; accablés, dis-je, de toutes ces tristes pensées, nous avancions, dans un morne silence. Titow et les siens, jusqu’alors souples et montrant quelque apparence de civilité, prirent tout à coup un air d’autorité et de réserve, soit en vertu de nouvelles instructions qu’ils venaient de recevoir, soit, et ce qui est plus probable, en ne voyant plus de supérieur au-dessus d’eux. Le caractère de notre geôlier en chef était un composé d’ignorance, de présomption et de cruauté ; on le disait brave devant l’ennemi, mais certes il était encore plus menteur et plus voleur que brave. Ses compagnons étaient, le capitaine Ostafi Ostaficz Udom, fourbe, mais à manières beaucoup plus douces que les autres ; Zmiesvskiy, impertinent, fou et ivrogne ; Mitrowski, bon diable tout à fait ; enfin le jeune lieutenant Karpen, délié, faux, et se couvrant d’un certain vernis d’éducation un peu plus soignée : tels étaient les personnages qui ne nous quittaient ni le jour ni la nuit. Un d’entre eux, Udom, était parti en cachette pour Varsovie ; il devait y voir ses protecteurs, entre autres la veuve du kniaz Gagarin, tué pendant la