Page:Niemcewicz - Notes sur ma captivité à Saint-Pétersbourg.djvu/71

Cette page a été validée par deux contributeurs.
46
ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

invita le lendemain à dîner. Malgré l’opium qu’on me donnait en fortes doses, je passai la nuit dans l’insomnie et la douleur, et ce ne fut que vers le soir, accompagné de mes argus, que je fus en état de rendre ma visite. Je trouvai la maison de Razumowski remplie de monde, c’est-à-dire de beaucoup de Russes et de peu de Polonais. Dans le nombre de ces derniers était madame Poupart, femme d’un ci-devant général au service de Pologne, et qui depuis le partage avait passé à celui de Russie. Elle avait avec elle sa sœur, mademoiselle Kamienska ; toutes les deux étaient des personnes belles et sensibles. Les larmes que ces dames versaient sur notre état, furent une des plus douces consolations que nous goûtâmes depuis notre captivité. Notre gouverneur, le major Titow, bête s’il en fut jamais, fut tellement épris des charmes de nos belles Polonaises, qu’il me dit gravement : « Vos dames sont presque aussi jolies que celles de Tobolsk. » — « Oh ! vous voulez nous flatter, lui répondis-je. » — « Non, reprit-il ; seulement les nôtres ont le pied plus beau et plus gras. » Ce fut chez ce général Razumowski que j’ai entendu pour la première fois la fameuse musique de cors, appelée Roghi. L’orchestre, quand il est au complet, consiste en soixante musiciens ; qu’on se figure un orgue entièrement décomposé et dont chaque tuyau serait enflé sé-