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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

ports et désabuser le public, aussitôt que nous nous arrêtions dans un endroit, Chruszczew faisait chercher le seigneur du lieu, ou les principaux habitants de la ville ou du bourg, et les menait dans la chambre du général Kosciuszko pour le leur faire voir, les assurer de son existence et de l’état désespéré dans lequel il se trouvait. Ces entrevues étaient de part et d’autre bien tristes, souvent même accompagnées de larmes. Nous ne pouvions rien nous dire que ce qui était permis en la présence de nos satellites. Jusqu’alors on avait vu des hommes montrer en spectacle des bêtes féroces ; ici c’était une bête féroce qui montrait un homme.

A Ostrog, une des principales villes de la Volhynie, nous trouvâmes une forte garnison russe, commandée par le général Razumowski, frère de celui que j’ai connu ambassadeur à Naples et à Vienne, et qui fut éloigné de la Russie pour quelques privautés qu’il s’était permises avec la princesse de Darmstadt, première femme du grand-duc Paul Petrowitz. Tous les deux étaient les neveux du fameux hetman des Cosaques, amant et époux de l’impératrice Élisabeth. Razumowski, dont je parle, avait des manières polies, et, qui plus est, il avait de l’humanité. On nous logea dans un grand couvent des ex-jésuites ; il vint nous voir, nous envoya un bon souper, et nous