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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

cune part à ce butin ; la gloire et le profit en étaient uniquement réservés aux généraux et aux officiers supérieurs. Le major Iwan-Petrowicz Titow, notre gardien en second, en nous parlant de cette affaire, se plaignait presque les larmes aux yeux de ce qu’il n’avait eu pour sa part que des rideaux de damas rouge, ôtés du lit d’un des valets de chambre du roi ; un cadet de famille ne se serait pas plaint plus amèrement du tort que ses frères ainés lui auraient fait dans le partage d’un patrimoine. À mesure que la marche continuait, le butin croissait : bourgs, villages, surtout maisons de campagne de la noblesse, tout fut dévasté, pillé, détruit. Pulawy, appartenant au prince Czartoryski, et une des plus belles campagnes de l’Europe, fut la plus maltraitée. Le château était meublé avec autant de goût que de magnificence. Une salle superbe, toute en lambris et bronze doré, avec des glaces, porcelaines, meubles précieux, plafond peint par Boucher, les appartements de la princesse non moins riches et élégants, une bibliothèque des mieux choisies, tout cela fut pillé ; et ce qui ne pouvait pas être enlevé, on ne manquait pas de le briser en mille morceaux. Un nommé Bibikof, qui joignait à la fatuité et aux manières d’un perruquier de Paris la barbarie russe, était l’Achille de cette belle expédition.