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BATAILLE DE MACIEIOWICE.

cour de la maison un grand nombre de nos prisonniers, et le chagrin bien vif d’entendre leurs murmures. « Où sont donc ces terres, ces maisons, cette vie bienheureuse que vous nous promettiez, disaient-ils ; c’est en Sibérie que nous allons les chercher[1]. »

Après bien des délais, nous nous mîmes enfin en marche. Quel train ! Rien ne ressemblait plus à l’armée de Darius. Je puis affirmer, sans aucune exagération, que le bagage des officiers d’état major, le nombre des chariots menant l’immense butin fait dans les palais et les maisons de la noblesse, pillés de fond en comble, ainsi que les chevaux et le bétail enlevés aux campagnes, occupaient un espace presque égal à celui de l’armée. Tous les officiers généraux, les brigadiers, et même les colonels, se prélassaient dans de belles voitures, avec leurs femmes ou leurs maîtresses, suivies de femmes de chambre, de cuisiniers, de domestiques, etc., Le général Fersen, vieillard plus que sexagénaire, décharné et cassé, voyageait dans une charmante berline lilas et argent, attelée de six chevaux gris-pommelé ; à

  1. Le général Kosciuszko, dans ses proclamations à l’armée, avait promis à chaque soldat une maison et un certain nombre d’arpents de terre.
    (Note de l’auteur.)