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BATAILLE DE MACIEIOWICE.

leur dernier refuge. Le carnage ne cessa que lorsqu’il ne resta que des morts ou des mourants, qui y étaient encore quand on nous transporta dans la chambre immédiatement au-dessus. Quelques-uns d’entre eux, succombant sous la douleur aiguë des blessures, poussaient des gémissements et des cris déchirants ; d’autres, brûlés d’une soif dévorante, demandaient à boire ; ceux-là criaient qu’on les achevât, tandis que la plupart se déchaînaient en imprécations pour avoir été, selon leur opinion, imprudemment sacrifiés à un ennemi aussi supérieur en nombre. C’est au milieu de ces gémissements de douleur, de désespoir et de mort, ayant devant mes yeux un ami expirant, souffrant de ma propre blessure ; frissonnant du froid qui commençait à être très-vif, le cœur déchiré, l’esprit accablé de mille réflexions sur cette malheureuse journée et ses suites aussi funestes pour ma malheureuse patrie, c’est au milieu, dis-je, de tous ces tourments, que j’ai passé la nuit la plus cruelle qu’il soit donné à un mortel de supporter.

L’aurore dissipa enfin ces horribles ténèbres. Le général Kosciuszko s’éveilla comme un homme qui sort d’une profonde léthargie, et me voyant blessé à côté de lui, me demanda ce que c’était et où nous étions. « Hélas ! lui dis-je, nous sommes prisonniers des Russes ! je suis avec vous et ne vous abandonnerai jamais. » — « Que je suis