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ÉLARGISSEMENT.

que par des inquiétudes et des alarmes, que d’ailleurs les emportements et les impétuosités du nouveau souverain étaient bien de nature à justifier. Pour me servir encore une fois d’une comparaison vulgaire, ce prince menait la voiture de l’État en cocher jeune et fou : tantôt il suivait le chemin droit et uni, tantôt il s’en écartait ; et, comme pour essayer sa force et son talent, donnait contre toutes les pierres, allait par sauts et par bonds, accrochait des bornes, et faisait trembler sur leurs sièges les voyageurs effrayés. Ses édits, ses règlements étaient marqués au coin de la sagesse et au coin de la folie : le renvoi d’un ministre pervers, l’abolition d’un tribunal odieux, et l’établissement d’une nouvelle forme pour les chapeaux et les gilets, étaient pour lui des affaires de la même importance. Amoureux de son autorité jusqu’à la jalousie, les révolutions de palais, si fréquentes en Russie, et les révolutions d’un autre genre qui avaient eu lieu en France, lui causaient des inquiétudes continuelles. Pour s’assurer qu’il pouvait tout, qu’en effet il était souverain , il ne faisait autre chose que régner depuis cinq heures du matin jusqu’à onze heures du soir : à tout moment on apprenait la nouvelle d’une largesse et celle d’un exil, l’élargissement d’un prisonnier et l’emprisonnement d’un autre personnage ; aussi la panique était-elle