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ÉLARGISSEMENT.

pendant que je dinais chez le général Kosciuszko, un officier vint de la part de M. Archarow, lieutenant de police de Pétersbourg, me prier de passer à l’instant à son hôtel. Or, je savais ce que c’était qu’Archarow et son hôtel ; Or je savais que c’était de là qu’on envoyait des victimes ou en prison ou en Sibérie. Bien que je fusse sûr de n’avoir ni rien fait, ni même rien dit qui aurait pu m’attirer un nouveau malheur, je connaissais bien aussi ce que pouvait la calomnie ; cette réquisition de paraître aussitôt chez le ministre de toutes sortes de persécutions, ne pouvait donc que m’alarmer. Je me levai et n’eus que le temps de dire au général : « Vous savez le danger que je cours, ne m’abandonnez pas. » Ma voiture était à la porte, j’y monte avec l’officier, et nous voilà à l’hôtel du lieutenant. On m’introduit dans une grande salle, en me disant que S. E. n’était pas chez elle et que je devais l’attendre. Je regarde dans la cour, et j’y vois trois ou quatre kibitkas ou petits chariots dans lesquels on envoie les prisonniers en Sibérie, des Cosaques, des officiers allant et venant comme gens qui se préparent à un départ. Cette vue augmenta naturellement mes inquiétudes ; je ne doutais pas que, par suite de quelque infâme délation, je ne fusse destiné à être un des voyageurs qu’attendaient ces messieurs. Je me résignais déjà à mon sort,