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ÉLARGISSEMENT.

quette usitée : le maréchal de la cour décline votre nom ; vous êtes tenu de vous précipiter à genoux et de baiser la main du souverain ; il vous relève et vous donne un baiser sur la joue. La même cérémonie se répète devant l’impératrice. Je me rappelle qu’en quittant l’empereur, je m’avançais comme un lourdaud, en ligne droite vers son auguste épouse, « Ciel ! que faites-vous ? » s’écrièrent les deux chambellans qui se tenaient à mes côtés , « vous tournez le dos à l’empereur. » Aussitôt ils me saisissent par les deux bras, me retournent, et, comme un cheval de manège, me font traverser l’espace en ligne diagonale. Autant j’ai goûté peu la main de l’empereur, autant je savourai celle de l’impératrice ; elle était blanche , potelée, et délicieusement parfumée. Cette princesse est parfaitement belle, et j’avoue que c’est avec plaisir que je me suis mis à ses genoux. La même cérémonie ne m’a pas paru également agréable vis-à-vis de son époux, mais il le fallait bien. Il était bien plus choquant de voir les femmes même assujetties à cette humiliation ; elles portaient de grands habits de deuil avec un crêpe qui de la tête se rejetait en arrière et traînait par terre au moins de deux aunes, en outre une grande langue de velours noir sur le front C’était autant d’Andromaques aux pieds, j’allais dire d’Achille ; mais la comparaison ne serait pas juste.