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ÉLARGISSEMENT.

Zubow, l’amant douairier de Catherine, joli bomme plutôt que bel homme, avec de grands yeux noirs, des traits réguliers, mais un air fatigué et usé à l’excès. Cet être, qui se traînait plutôt qu’il ne marchait, n’était plus rien ; mais telle est la force de l’habitude, que la foule des courtisans s’inclinait encore devant lui comme du temps de sa grandeur. Il se dirigea vers la grande salle où le corps de la défunte était déposé. La curiosité me porta à m’y glisser aussi ; mais, ne goûtant pas trop Ja cérémonie de se prosterner et de baiser la main à un cadavre, je m’arnêtai à la porte. Sur un lit de parade, auquel on arrivait par douze marches, on voyait les restes inanimés de celle qui, il y a peu de jours encore y était la souveraine absolue d’un tiers de la terre habitée. On l’avait habillée d’une longue robe russe, en velours, garnie de zibeline, bordée tout autour d’une riche broderie en or. Couronne, sceptre, globe, une multitude de plaques et de cordons, étaient déposés sur les degrés du catafalque. La défunte avait encore sa cour comme de son vivant. Dames d’honneur, chambellans , gentilshommes de la chambre, gardes du corps, rangés respectueusement tout autour, restaient auprès d’elle, debout, jour et nuit, se relevant seulement toutes les trois heunes. C’était un temps bien pénible pour les courtisans, qui, outre leur service auprès de leurs souverains