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ÉLARGISSEMENT.

à l’instant. » — « Pourquoi donc me raser la barbe ? lui dis-je ; s’il n’y avait pas de mal à me la laisser croître pendant deux ans, il ne doit pas y en avoir, à me laisser paraître avec elle devant mes amis. » — « Cela ne se peut pas, me répondit-il, un peu fâché ; si vous voulez sortir tout de suite, il faut absolument vous faire raser. » — « Allez donc, lui dis-je, voir et consoler les autres prisonniers, mon départ les inquiéterait. » Il sortit, et tandis qu’il les visitait, on coupa et puis on rasa ma barbe ; je pris mes bottes de chien de mer, mon bonnet, mon wiltchoura, et Makarow en rentrant me trouva prêt.

J’ai déjà dit que j’avais apporté avec moi une vingtaine ou une trentaine de livres ; je demandai, à Makarow la permission de pouvoir en faire présent à la prison ; il y consentit. Quoique les malheureux qui y gémiront après moi ne puissent guère savoir à qui ils devront ce legs, l’idée d’adoucir pendant quelques instants leur douloureuse existence, est pour moi une des plus douces jouissances toutes les fois que j’y songe.

Je ne saurais exprimer l’émotion que je sentis en franchissant le seuil de la porte de la prison. Nous traversâmes le pont-levis, la forteresse, et nous nous acheminâmes du côté de la Newa, que nous passâmes sur la glace. L’action de l’air libre, la sérénité du ciel, la vue d’une ville superbe, de