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vie de prison.

faire relever, voyant ma discrétion et l’intérêt que je prenais à eux, venaient, pendant l’absence du praporszczyk, verser dans mon sein leurs plaintes et leurs chagrins amers. Tirés des provinces les plus éloignées de l’empire, tous étaient mariés et avaient des enfants ; enlevés pour la plupart et enrôlés peu après leur mariage, ils n’avaient plus revu leurs femmes et leurs enfants pendant de longues années, n’en recevaient même pas de nouvelles ou n’en recevaient que fort rarement. Nous nous plaignions réciproquement. Je tâchais de les consoler ; n’ayant point d’argent, je leur donnais mes hardes, mon linge, enfin tout ce qui ne m’était pas d’une nécessité absolue. Rien n’inspire davantage la confiance, rien ne lie plus intimement les hommes que le malheur commun ! Tout ce que ces gens-là apprenaient, ils s’empressaient de venir me le communiquer à l’oreille. Je suis même parvenu à les décider à se charger deux fois de mes billets pour le général Kosciuszko. Je lui décrivais la situation où j’étais et les rigueurs presque inusitées qu’on me faisait subir ; je l’engageais à demander à l’impératrice qu’on me transférât dans sa prison, ne doutant pas que par suite des égards extraordinaires qu’elle avait pour lui, une demande de sa part en ma faveur aurait chance de succès. Je renouvelai la même prière dans mon second billet. Il me répondit la