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VIE DE PRISON.

Voyant que tous mes raisonnements ne faisaient aucun effet, et sachant qu’il était superstitieux, j’essayai d’alarmer sa conscience. « Paul Iwanowicz, lui dis-je un jour, ne vous y méprenez pas, le moteur de l’univers, le juge de tout ce que nous faisons, le grand Nicolas (ici il s’inclina), enregistre toutes nos actions bonnes et mauvaises ; au centuple il récompense les premières, mais aussi au centuple il punit les autres. Au jour terrible de son jugement, il vous demandera compte des larmes et du sang que vous avez fait verser. Vous savez ce qui attend les âmes réprouvées ; songez aux supplices, aux tourments affreux qui leur sont réservés dans l’abîme des enfers. » Il devint rêveur et me répondit : Cztoz dielat ! cztoz dielat ! que faire ! que faire ! Il me parut cependant que ces derniers arguments ne restèrent pas tout à fait sans effet ; pendant quelque temps, les exécutions furent moins fréquentes et moins cruelles ; mais cela ne dura pas, et il recommença de plus belle. Cet homme était naturellement méchant, et se plaisait à tourmenter les autres. Il volait les prisonniers, ou plutôt la caisse publique, sur ce qui lui passait par les mains ; il se plaisait à nous retenir nos livres et à nous jouer toutes sortes de petits tours. Soldats et prisonniers le haïssaient également ; ceux qui étaient auprès de moi et qu’on avait laissés pendant plus d’un an sans les