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VIE DE PRISON.

je conçus l’idée de me faire une balle pour jouer. A cet effet, je ramassais tous les cheveux qui me tombaient par poignées, j’y ajoutai le poil de ma barbe, et mon domestique en fit une balle ; tous les matins, j’en jouais une heure, au point de me fatiguer et de faire transpirer tout mon corps à grosses gouttes ; je changeais alors de linge et me reposais. C’est peut-être à cet exercice d’écolier que je dois non-seulement d’avoir supporté mon esclavage avec moins de peine, mais aussi de lui avoir survécu.

La douceur avec laquelle je traitais mes gardes, la compassion que je montrais pour leur condition, presque aussi à plaindre que la mienne, me gagna à la longue leur confiance et leur affection. Un de mes tourments dans cette prison, était de voir tous les jours les traitements cruels qu’on faisait éprouver à ces malheureux. Paul Iwanowicz, officier et commandant des soldats destinés à nous garder, était un brutal réunissant tous les vices d’un barbare et d’un parvenu. Né paysan, il s’était élevé au grade de praporszczyk, ou enseigne, par le mariage avantageux qu’il avait contracté avec la fille du cocher du procureur général. Le bonheur d’être praporszczyk lui paraissait si inattendu, si inconcevable, si fort au-dessus de toutes ses espérances, que pour se convaincre que ce n’était pas une illusion ou un rêve, il exerçait