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VIE DE PRISON.

et de ses fidèles sujets aurait-elle été compromise, si un prisonnier, pendant un quart d’heure, avait eu la liberté de respirer l’air frais et de voir la clarté du jour ? J’en demande bien pardon aux prôneurs de l’immortelle Catherine ; mais, dans les petites cruautés qu’elle exerçait envers nous, je ne vois rien de grand ni d’immortel : c’était tout simplement le dépit d’une vieille femme aussi vaine que vindicative[1].

Il faut remarquer que la Russie était le seul pays où l’on refusait à un prisonnier jusqu’à la faible douceur de respirer l’air frais. Les prisonniers de la Bastille avaient chacun une heure par jour pour se promener sur la terrasse. J’ai vu,

  1. Le général Kosciuszko n’essuyait point les traitements rigoureux qu’on exerçait envers les autres prisonniers, et particulièrement envers moi. Comme on aimait à le regarder plutôt comme instrument innocent et passif que comme moteur de la révolution, on le plaignait d’avoir été la victime de nous autres, têtes dangereuses. On avait pour lui toute sorte d’égards : il eut d’abord pour prison la maison du commandant de la forteresse, et fut transféré ensuite dans le palais d’Orlow. Il avait une voiture à ses ordres et sortait quand il voulait, accompagné d’un employé russe ; on le promenait dans le jardin en chaise roulante ; enfin, on lui donna jusqu’à un maître tourneur, pour lui apprendre ce métier pour lequel il avait du goût. De tous les prisonniers polonais, c’était le seul favori de l’impératrice.
    (Note de l’auteur.)