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vie de prison.

à la vertu l’homme, qui a eu le malheur de s’en écarter. Mais combien ces cruautés deviennent plus odieuses, quand celui qui les exerce n’avait à invoquer contre ses victimes aucun droit provenant, soit du droit civil, soit du droit des gens. Les fameuses raisons d’État, cet argument si puissant par lequel Samoilow et ses semblables coupaient court à toutes les remontrances qu’on leur faisait, ne pouvaient ni justifier l’oppression que nous subissions, ni même, en envisageant les choses de leur point de vue, en démontrer la moindre nécessité. En supposant que la Pologne, déjà partagée en lambeaux, cousus à trois empires et gardés par leurs nombreuses armées, ne leur parût pas encore assez à l’abri de nos manœuvres, les raisons d’État pouvaient bien leur ordonner de s’assurer de nos personnes, et, pour obvier à toutes les probabilités de notre fuite, de nous enfermer dans une forteresse ; mais quelle raison, quelle nécessité y avait-il de nous isoler, de nous tourmenter chacun séparément pour nous ôter jusqu’à la consolation de souffrir ensemble ? Sept prisonniers désarmés, estropiés, affaiblis par les souffrances et le chagrin, entourés de gardes, pouvaient-ils donc être dangereux du fond de leur cachot ? pouvaient-ils conspirer contre l’auguste souveraine, ou exciter des troubles dans ses États anciens et nouveaux ? La sûreté de l’impératrice