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VIE DE PRISON.

au bout de deux ans, un sentier qui était à peu près de deux lignes au-dessous du niveau de mes carreaux ; cette voie aura fait, je pense, frémir mon successeur. L’été, quand la nuit était belle, je m’asseyais près de la fenêtre ; et là, la tête appuyée contre les barreaux, et les yeux fixés sur une échappée du firmament, qu’on découvrait entre la prison et les murailles de la forteresse, je restais des heures entières plongé dans de douces rêveries ; et, tandis que mon corps était enchaîné à ce triste cachot, ma pensée prenait son vol, se transportait d’un bout de l’univers à l’autre. Je revoyais les lieux si chers à ma mémoire, ce pays que j’avais quitté dernièrement pour me rendre à l’armée, l’Italie, les tombeaux, les ruines imposantes de Rome, les campagnes embaumées de Florence, et cette ville si belle, où, au milieu de tous les chefs-d’œuvre de l’art, j’ai passé des jours sans nuages, des jours purs comme le ciel qui luit dans ce climat fortuné. D’autres fois, des souvenirs affligeants m’arrachaient à ces douces illusions : mon pays, dont la prospérité avait été, durant de longues années, l’unique objet de nos travaux et de nos efforts, aujourd’hui déchiré et partagé ; mon père, ma famille, mes amis, ignorant peut-être mon sort comme j’ignorais le leur, se présentaient à mon esprit, me replongeaient dans la tristesse, m’arrachaient souvent des larmes. Une nuit,