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vie de prison.

comme des bourgeois fort à leur aise : notre dîner se composait d’une soupe, d’un bouilli, d’une entrée, d’un rôti, de pâtisseries, et d’une bouteille de vin ou de porter ; c’était beaucoup pour des prisonniers. Mais pense-t-on à la bonne chère quand on n’a pas sa liberté ? Pour moi, j’y faisais si peu d’attention que, dans le temps où, par suite de l’état de la Neva, et par conséquent de notre communication interceptée, on ne nous donnait que du hareng, du fromage et de la bière, je ne m’apercevais presque pas de la différence de ce qu’on me servait. Je mangeais fort peu ; mon domestique de même : nos portions étaient donc dévorées par l’officier et ses soldats. On me servait les viandes coupées en gros morceaux ; et comme je n’avais ni couteau ni fourchette, j’étais obligé de les déchirer avec mes doigts ; mes moustaches et ma barbe m’incommodaient très-fort pendant ces repas. Après dîner, on nous laissait longtemps dans l’obscurité ; et j’employais ce temps à me promener. J’avais choisi la ligne diagonale de ma chambre comme la plus longue : elle pouvait avoir de sept à huit petits pas. Je marchais et je rêvais tristement. Souvent je me proposais de faire tant et tant de milliers de pas ; je les comptais, mais la plupart du temps je me trompais dans mon calcul, et retombais dans mes rêveries. A force de marcher dans la même ligne, j’y ai imprimé,