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VIE DE PRISON.

sais alors ma toilette, peignais ma barbe, la rafraîchissais souvent dans de l’eau froide, et déjeunais. Si c’était un jour où j’attendais des livres de mon ami Mostowski[1], avec quelle impatience ne me coUais-je pas contre ma fenêtre, pour voir passer le caporal qui pouvait m’apporter mon paquet. Cependant il fallait attendre deux ou trois heures, jusqu’à ce que le bas-officier en eût visité toutes les feuilles l’une après l’autre. Mais j’étais tranquille sur cet examen ; le petit point d’épingle était aussi invisible que les caractères en encre sympathique. Pour peu cependant qu’il y eût quelque chose d’écrit avec de l’encre ordinaire, le livre était retenu. Une fois, on me remit les œuvres complètes de Benardin de Saint-Pierre, excepté le premier volume ; j’insistais pour qu’on me le rendît ; on tergiversa. Deux, trois, quatre jours se passent ; point de livre. Enfin l’officier me l’apporte ; avant de le prendre, « Apprenez-moi, lui dis-je avec franchise, pourquoi vous m’avez retenu ce malheureux volume ? » — « Il y avait, me répondit-il, quelque chose d’écrit là-dessus ; et comme en ce cas mes ordres portent de ne pas vous donner un pareil

  1. Ces envois, toutefois, ne se faisaient que toutes les quatre ou cinq semaines.
    (Note de l’auteur.)