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VIE DE PRISON.

gueurs bien plus grandes encore que celles que j’éprouvais. Mostowski, de crainte de me chagriner trop, n’ajouta rien à ce que je viens de rapporter ; mais quand nous fûmes libres, il me dit que Samoilow, après avoir énuméré tous les griefs des Russes contre moi, prononça mon arrêt en ces mots : « Qu’on ne me parle plus de Niemcewic, car c’est gâter l’affaire de tous les Polonais, que de prononcer son nom devant l’impératrice. » Le billet de Mostowski m’affecta profondément ; j’y vis qu’il n’y avait plus d’espoir pour moi du vivant de ma persécutrice. L’événement a prouvé combien j’avais raison. Ma seule consolation était de songer que ces mêmes crimes pour lesquels on exerçait contre moi tant de rigueurs, étaient autant de titres à l’estime de tous les honnêtes gens. J’avais parlé contre elle avec aigreur et véhémence ; eh ! pouvais-je parler avec amour de celle qui, de gaieté de cœur, se plaisait à accabler ma patrie de tous les maux, et finit enfin par l’anéantir ! Pouvais-je aimer, pouvais-je flatter ses favoris, complices et souvent auteurs de toutes ces atrocités ! Représentant de la nation, pouvais-je ménager, ou plutôt ne devais-je pas poursuivre, avec toute l’indignation qu’inspire le crime, les traîtres opulents qui se joignaient ouvertement aux ennemis de ma patrie ! J’ai bien souffert, il est vrai, mais je suis tellement per-