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COMPAGNONS DE CAPTIVITÉ.

fort en colère ; aussi, après une heure de disputes, je vis tout à coup deux soldats traîner un malheureux sous le bras vers les casemates, et bientôt des cris déchirants se firent entendre, et ne me permirent pas de douter qu’on lui infligeât la question, ou du moins la bastonnade. Les hurlements de ce malheureux me déchiraient l’âme et cependant Voltaire et d’autres philosophes courtisans n’ont-ils pas élevé au ciel l’immortelle Catherine pour avoir, selon eux, aboli la torture ! Après mon élargissement, j’ai appris des officiers russes eux-mêmes, que ces deux prisonniers étaient, l’un un caissier, et l’autre un conseiller de la banque des emprunts ; tous les deux gens comme il faut, et pères de famille. On avait trouvé daos la banque un déficit de 600,000 roubles. Ces employés subalternes n’avaient agi que par ordre du ministre ; lui seul était coupable ; ce sont eux cependant qui subissaient les peines.Paull Ier les fit élargir.

Nous apprîmes également plus tard que notre prison, vieille et tout en bois, avait été bâtie par Pierre le Grand, et que le premier prisonnier qui y avait été enfermé, était son propre fils Alexis, condamné à mort par ce barbare héros. Beniowski y a été aussi, mais seulement pendant quinze jours ; il fut ensuite exilé en Sibérie. Il occupait la même chambre que moi. Des étran-