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COMPAGNONS DE CAPTIVITÉ.

fut-il guéri, qu’on le remit encore une fois en prison, où il retomba dans un état pire que jamais. Mais pour cette fois, on ne le soigna plus à l’hôpital, on le garda. Parfois, il était tranquille et comme hébété ; mais de temps à autre il remplissait la prison de ses cris et de ses hurlements. Souvent aussi il chantait d’une très-belle voix la messe et les vêpres. Une fois, en traversant le corridor, je l’ai aperçu au moment où sa garde entr’ouvrait la porte pour sortir ; il me paraissait âgé de vingt-cinq ans, d’une très-belle figure, mais pâle et exténué. Quoiqu’il ne se souciât pas beaucoup de lire, je lui envoyais mes livres ; il m’en a involontairement gâté plusieurs, car il parait qu’il y avait tracé quelques mots, et l’officier sans autre cérémonie en arrachait les feuilles. Une fois cependant, j’ai trouvé au milieu d’un livre, qui me revenait de lui, des mots tracés avec du sang, puisqu’on ne lui permettait ni encre ni plumes. Je n’ai pas pu bien déchiffrer ce qu’il a voulu dire ; mais c’était quelque chcwse d’approchant des mots : Je suis Forpen ; et puis c’est pour vous que je suis ici Pol... L’état de ce malheureux jeune homme m’inspirait la compassion la plus vive. Souvent, quand il faisait trop de bruit ou ne voulait pas obéir, on avait la barbarie de le battre. On donnait 25 sous par jour pour sa nourriture : il avait du lait le matin, et une soupe