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INTERROGATOIRE.

soixante ans, jugèrent le moment favorable pour relever leur patrie de l’attitude humiliante où elle se trouvait. Pour la première fois, depuis soixante ans, ils osèrent agir en peuple libre ; et plus leur joug et leur avilissement avaient été insupportables, plus la voix de l’indignation longtemps étouffée se fit entendre avec force et énergie. À ces accents, Stanislas, qui voyait déjà les baïonnettes russes arriver, trembla sur son trône ; il mit en usage toutes ses petites manœuvres pour persuader à la diète et à la nation de rester dans son ancienne léthargie. Mais le mouvement était donné ; les promesses, les exhortations, les secours du roi de Prusse, qui semblaient offerts avec tant de bonne foi, et surtout la crainte de voir la nation se soulever contre lui, le forcèrent enfin à se rendre aux vœux de la diète. La constitution du 3 mai, qui, au lieu d’un vain titre de roi, lui accordait une autorité vraiment monarchique, lui fit voir la différence qu’il y avait à être uni avec la nation, ou à vivre lâchement sous une tutelle étrangère. Pendant dix-huit mois, il parut travailler avec zèle et sincérité au bien de son royaume ; la nation oublia ses torts passés, et en fit son idole. En 1792, aux premiers bruits de l’invasion méditée par la Russie, il jura qu’il irait avec ses cheveux blancs se mettre à la tête de son armée, sauver l’État ou mourir avec gloire : aussi l’en-