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INTERROGATOIRE.

je l’étais, essayer d’écrire de ma main gauche, tracer l’une après l’autre des lettres crochues, bancales, sauvent illisibles. Je passai ainsi la nuit entière à remplir cette tâche pénible, lorsque, vers les six heures du matin, le sous-officier, voyant la difficulté avec laquelle ma main gauche avançait la besogne pour la première fois ouvrit la bouche, et me dit : « Il faut vous dépêcher, car à huit heures Alexandre-Nikolaiewicz doit présenter votre écrit à la souveraine. » — « Je finirai quand je pourrai, » lui dis-je. Effectivement, je n’achevai mes réponses que vers les neuf heures ; elles étaient à peu près comme il suit :

« Les Polonais, surtout ceux qui avaient échappé au démembrement, deux fois réitéré par leurs voisins, tant qu’il leur restait une province, aussi longtemps que le nom de leur patrie n’était pas anéanti, malgré leur faiblesse et leurs malheurs, se croyaient encore un peuple libre et indépendant ; comme tels, ils envisageaient de leur devoir de se défendre contre l’envahissement de leurs droits et de leur territoire, en un mot, contre toute domination étrangère ; de recouvrer même, s’il était possible, les pertes immenses qu’ils venaient d’essuyer. Pénétrés de ces vérités, ils ont fait leurs derniers efforts, efforts dictés plutôt par le zèle, par le désespoir, que par la