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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

min, mais bientôt on me fit revenir sur mes pas, monter cet escalier, et je me trouvai dans une grande chambre remplie de monde ; j’y aperçus Fischer. Cette vue me redonna du courage ; peut-être, pensais-je, serons-nous ensemble, et la prison lions paraîtra d’autant moins horrible. Au bout d’un quart d’heure d’attente, nous vîmes paraître un homme de six pieds de haut, en habit de cour de velours violet, avec deux cordons pardessus, de droite à gauche et de gauche à droite, force ordres et décorations, des manchettes de dentelle superbe, une queue, et des grosses bottes fourrées. Malgré toute cette magnificence, un orgueil et une rudesse barbares perçaient dans les traits et les manières de ce personnage. C’était Alexandre-Nikolaiewicz Samoilow, neveu de Potemkin, procureur général ou ministre de l’intérieur et des affaires secrètes de l’impératrice. Il s’approcha de moi avec gravité, et, après une longue pause, me demanda en paroles lentes et mesurées : « En quelle qualité avez-vous été auprès du général Kosciuszko ? » — « En qualité d’ami et d’officier volontaire, » répondis-je. Un long silence s’ensuivit. J’étais couvert d’une pelisse ordinaire de peau de loup, mon bras en écharpe, mes cheveux en désordre. Voulant rompre ce silence, et renouer la conversation : « Je suis fâché, Monsieur, lui dis-je, de paraître devant