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ITINÉRAIRE DES CAPTIFS

nous nous arrêtâmes à la grande auberge de Carskoe Selo, le Versailles de Russie, où pendant l’été, c’est-à-dire pendant deux mois, réside ordinairement l’impératrice. C’est là qu’elle dépose l’éclat du diadème, désire qu’on le croie, et s’imagine peut-être elle-même qu’elle n’est qu’une bonne femme de campagne. Cependant, avec sa cloche de carton et de taffetas noir, son mantelet simple, sa canne et son parasol, cette bonne campagnarde, tout en surveillant ses choux et ses navets, signe des arrêts de proscription, de confiscations et d’exil en Sibérie. Nous ne vîmes de Carskoe Selo qu’autant qu’on en peut voir par la fenêtre de l’auberge : une partie du château, et une espèce d’arc de triomphe élevé au favori Orlow, lorsqu’il avait risqué ses jours si précieux, en allant donner des ordres à Moscou pendant la peste. Tout auprès est le village de Sofijskoy. C’est là que l’impératrice fait faire des expériences d’agriculture et des essais sur les productions que le climat permet de cultiver.

Nous passâmes dans cette auberge près de trois heures ; enfin nous vîmes arriver Achmatow, qui conféra aussitôt avec Titow, puis repartit, et nous le suivîmes au pas, une demi-heure après. Il est d’usage en Russie que les voitures de poste aient une petite cloche attachée au timon, pour que le bruit qu’elle fait prévienne les autres voyageurs