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Dieu seul devrait suffire, ou parlant de la jalousie de l’époux divin qui réclame le cœur tout entier. [AM 2,9 ; LD 24.] On peut même aussi s’expliquer, à partir de cette expérience de départ, certains propos rudes sinon rigoristes de Roland, sur le dénuement, la désappropriation, la désoccupation de soi, la mortification, l’abnégation de soi-même[Souvent, Roland rattache explicitement ces vertus à l’effort d’identification au Christ, de participation à son mystère ; cf. D.S., art. Roland, c. 890.] Langage, à vrai dire, qui est dans le climat du temps et ne manque pas de cohérence. [B. Pitaud, Servir la liberté spirituelle, p. 9-10 : la liberté spirituelle suppose un détachement qui n’est rien d’autre que la liberté de celui dont la mission est de rendre sensible à la liberté de l’Esprit. Voir textes cités de Bérulle, Olier…]

La conversion à la mission était évidemment plus qu’en germe dans la conversion à Dieu. Pourtant, le retour de Roland à Reims va la faire s’expliciter d’une manière d’ailleurs savoureuse. À Paris, il s’est résolu à vivre un sacerdoce ardent et apostolique. Le Dieu auquel il s’est livré est aussi le Dieu de l’Exode : [En langage redevenu actuel, on peut dire que le Dieu de Roland est le Dieu de l’Économie[1] (Mgr Jean Balland, Actualité de Nicolas Roland, dans Le Bienheureux Nicolas Roland… p. 31).] il le libère de la banalité d’une existence douillette et respectable, pour le livrer à l’aventure créatrice d’une vie tournée vers le service des autres. S’il accepte un canonicat à Reims, il n’entend nullement s’enfermer dans une stalle ; il ne peut se restreindre aux obligations trop réduites de sa charge de théologal : il se fait prédicateur et missionnaire. Mais le corps des chanoines ne l’entend pas de cette oreille ; il s’en tient aux catégories définies clairement par l’usage ou le droit :
Il semble, protestent-ils, que le sieur théologal songe à s’ériger en missionnaire. Mais on soutient que jamais les théologaux n’ont été introduits dans l’Église pour la mission, car sans rien vouloir dire contre un emploi si pieux et si chrétien, un missionnaire est un ecclésiastique qui va catéchiser et confesser par les bourgs, par les villages, mais comment veut-on qu’un homme obligé à la résidence […] aille instruire les peuples de la campagne ?

Forts de la solidité de ce raisonnement qui leur paraît irréfutable, il ne reste aux chanoines qu’à morigéner leur confrère en attribuant ses désirs à une instabilité naturelle : c’est presque le défaut de tous les hommes que d’aimer mieux l’emploi d’autrui que le leur. Tension compréhensible entre deux perspectives, ou plutôt dialogue de sourds entre deux univers et deux expériences ; nous connaissons encore cela. Le point de vue de Roland ne peut plus être celui de ses collègues parce que son point de départ n’est plus le même. Il s’est aventuré déjà hors de l’univers limité où il ne pouvait accepter de s’enfermer. Il a perçu d’autres besoins. Il a

  1. Au sens religieux, l’économie désigne le plan de salut de Dieu et sa réalisation, tout au long de l’histoire, c’est-à-dire sa venue dans ce monde en la personne de Jésus-Christ pour sauver les hommes. Source : Définition : Économie du salut - Église catholique en France].