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LES QUATRAINS DE KHÈYAM.


119

Ces potiers qui plongent constamment leurs doigts dans l’argile, qui emploient tout leur esprit, toute leur intelligence, toutes leurs facultés à la pétrir, jusqu’à quand persisteront-ils à la fouler de leurs pieds, à la souffleter de leurs mains ? À quoi pensent-ils donc ? C’est cependant de la terre de corps humains qu’ils traitent ainsi.


120

Ceux qui par la science sont la crème de ce monde, qui par l’intelligence parcourent les hauteurs des cieux, ceux-là aussi, pareils au firmament[1] dans leur recherche des connaissances divines, ont la tête renversée, prise de vertige et d’éblouissement.


121

Dieu nous a promis du vin dans le paradis[2]. Dans ce cas, comment nous l’aurait-il défendu dans ce monde ? Un jour, un Arabe en état d’ivresse trancha d’un coup de sabre les jarrets de la chamelle de Hèmzèh[3]. Ce n’est que pour lui que notre Prophète a rendu le vin illicite.


122

Puisque, en ce moment, de tes plaisirs passés il ne te reste plus que le souvenir, puisque pour ami consommé tu n’as plus que la coupe de vin[4], puisque enfin tu ne possèdes plus qu’elle, réjouis-toi au moins de cette possession et ne laisse point la coupe échapper de tes mains.

  1. Le firmament est comparé ici par le poëte à un bol renversé sur la tête des humains, en signe de désespoir de n’avoir pu atteindre à la vérité éternelle. Les savants ne sont pas plus avancés dans leurs recherches que le firmament lui-même, dont le mouvement autour de la terre et l’influence sur la destinée des hommes procèdent de Dieu directement.
  2. Allusion au Koran, chapitre Du combat, verset 15, et chapitre De la montagne, verset 22, où il est dit qu’on présentera aux fidèles dans le séjour céleste des coupes remplies d’un vin délicieux.
  3. La seconde moitié de ce quatrain répète un fait raconté par les biographes du Prophète, savoir : l’irritation qu’il éprouva contre un Arabe qui, par un ressentiment personnel, trancha d’un coup de sabre les jarrets de la chamelle de Hamzèh, parent de Mohammed.
  4. Littéralement il faudrait traduire ce vers : « Puisque pour ami cuit (consommé, capable, intelligent, constant, sur lequel on puisse compter) tu n’as plus que la coupe de vin cru (brut, inintelligent, etc.). » Le poëte joue ici sur les mots cru et cuit. Voyez note 3, quatrain 111.